François Bayrou était l’invité du journal Le Parisien – Aujourd’hui en France, dimanche 18 novembre. Le président du Mouvement Démocrate a rappelé que, face à la crise, “l’effort à fournir pour conjurer le danger ne sera pas celui d’un parti mais celui de la Nation”.
Vous avez trouvé François Hollande convaincant lors de sa conférence de presse. Des élus du MoDem ont été reçus mercredi à l’Elysée… C’est le début d’une grande histoire ?
François BAYROU – François Hollande a annoncé un tournant majeur de sa politique, en direction d’idées et de principes que je défends pour ma part depuis dix ans. Vous croyez que j’aurais pu ignorer cette réorientation ? Nous sommes un courant politique libre. Notre vocation est d’approuver et soutenir les choix justes et courageux, d’être vigilants sur l’application et au contraire de refuser les mauvais choix.
Ce n’était donc pas un appel du pied ?
Ni appel du pied, ni connivence, ni manœuvre. Quand je suis en désaccord, je le dis, quand je suis d’accord, je le dis aussi. Le cap que François Hollande a annoncé est courageux : il va entraîner des conséquences très exigeantes et même très rudes. Car économiser 30 milliards d’euros sur la dépense publique entre 2013 et 2014, 60 milliards en tout d’ici 2017, c’est vital, mais c’est très difficile.
“LE PS AU POUVOIR CHOISIT, ENFIN, LA SOCIAL-DÉMOCRATIE”
Vous disiez que le quinquennat de François Hollande se jouerait là…
Oui, je le crois. Il s’est passé mardi dernier quelque chose d’essentiel, comparable à ce que les socialistes allemands ont fait en renonçant au marxisme en 1959 à Bad-Godesberg. Le PS, au pouvoir, choisit enfin ouvertement la social-démocratie, l’acceptation du réel et des disciplines qui vont avec. Depuis des décennies, le discours de la gauche était toujours ramené à la dépense publique, à l’intervention de l’Etat et au refus des réformes. François Hollande, six mois après son élection, propose une autre voie : le soutien aux entreprises, le désendettement et l’engagement de la France dans la compétition européenne et mondiale. Pierre Moscovici a parlé de révolution copernicienne. C’en est une. Encore faut-il que les actes suivent.
Pourquoi alors ne pas rejoindre la majorité, ou participer au gouvernement ?
Je ne veux d’aucun ralliement : je veux que la politique change en France ! Qu’on puisse réunir les gens responsables pour soutenir les choix essentiels pour le pays. Tout ce qui me paraît bon pour la France, je le soutiendrai. Il faut ajouter que, pour l’instant, c’est un tournant impressionnant, mais ce sont des intentions : il faut voir les actes et les choix, les décisions et le réel.
La France est-elle la bombe à retardement de l’Europe, comme l’écrit l’hebdomadaire britannique The Economist ?
Dans la chaîne des pays européens, le maillon français est un maillon fragile. Nous avons un modèle social et un modèle de services publics très exigeants et très chers, un endettement massif. Et nous n’avons plus l’économie capable de fournir les ressources nécessaires. Nous n’avons pas fait dans la dernière décennie les réformes nécessaires pour que notre pays redevienne un pays de production, créateur de richesses et d’emploi. Maintenant, c’est l’heure de la mobilisation générale.
“CE QUI ME NAVRE, C’EST DE VOIR L’OPPOSITION CRITIQUER PAR RÉFLEXE”
Vous avez décerné un bon point à Hollande, vous vous êtes dit « prêt à travailler » avec Borloo, vous jugez Fillon « responsable »… Tout ceci est-il bien cohérent ?
Ne voyez-vous pas que c’est précisément mon engagement ? Je me bats contre tous les sectarismes, d’un camp comme de l’autre ! Dans un pays en crise, le sectarisme est mortel ! Regardez l’Italie, les Pays-Bas, bientôt l’Allemagne, partout on se réunit pour soutenir les décisions d’intérêt vital. Ce qui me navre, c’est de voir en France l’opposition critiquer, par réflexe, même ce qu’elle voulait mettre en œuvre hier… Et la gauche applaudit à ce qu’elle condamnait et refusait hier. Ce jeu de rôles est insupportable dans les temps dangereux. Sommes-nous aveugles devant ce qui nous menace ? L’effort à fournir pour conjurer le danger ne sera pas celui d’un parti mais celui de la Nation. Réforme des retraites, réforme du droit du travail, réforme de l’Etat, réforme de la Sécurité sociale, tout cela va devoir être mis en chantier. Et personne ne pourra réussir en s’appuyant sur un seul parti.
Dans cette perspective, pour la présidence de l’UMP qui se joue aujourd’hui, Fillon vous paraît plus « responsable » que Copé ?
Cette élection ne me concerne pas directement, mais j’observe qu’il y a deux lignes claires en confrontation : une qui prône l’affrontement, l’autre le rassemblement. Il est évident que pour moi l’intérêt du pays, c’est le rassemblement.
Manuel Valls appelle les Corses à rompre la loi du silence pour endiguer les meurtres et la violence. C’est suffisant ?
La première chose à faire, et qui est douloureuse pour la France et son État, c’est de reconnaître sans langue de bois que comme en Italie des mafias ont pris pied sur le sol français, en Corse et peut-être au-delà. Or on ne combat pas les mafias comme on combat la délinquance ordinaire.
Il faut des lois spéciales, comme en Italie ?
S’il faut des outils juridiques spécifiques, et du renseignement, une police et une gendarmerie et des services fiscaux spécialement formés, il ne faut pas hésiter.
“CEUX QUI AIMENT LA TRADITION NE SONT PAS MOINS DIGNES D’INTÉRÊT QUE CEUX QUI VEULENT DES CHANGEMENTS”
Les opposants au mariage pour tous défilent ce week-end. S’il est voté, c’est irréversible ?
Bien sûr, ce sera irréversible. Cela me fait d’autant plus regretter que l’on ait choisi l’épreuve de force ou en tout cas écarté le débat et la communication. Je suis certain qu’on pouvait mieux concilier les attentes des couples homosexuels et les attentes de ceux pour qui le mariage traditionnel est un élément structurant de la société. Ceux qui aiment la tradition ne sont pas moins dignes d’intérêt que ceux qui veulent des changements. La voie que j’ai proposée peut concilier ces différentes attentes : qu’on accorde la reconnaissance de l’état-civil, et un ensemble de droits aux couples de même sexe et que ce statut soit nommé « union » plutôt que « mariage ». Ainsi le statut de la filiation par mariage ne serait pas remis en cause, et les droits des couples et des enfants élevés dans l’homoparentalité également reconnus.
Sur le mariage gay, comme sur le droit de vote des étrangers, l’opinion semble aujourd’hui moins favorable qu’il y a un an…
C’est vrai. Et sur le droit de vote des étrangers, Hollande a bien fait de refuser l’affrontement.
Il cherche une majorité pour l’adopter. Vous en serez ?
Je ne vois pas une majorité se dessiner sur ce sujet, y compris parmi mes amis.
NOTRE-DAME-DES-LANDES: “LE DÉBAT SUR CET AÉROPORT MÉRITE D’ÊTRE ROUVERT”
Avec son sous-sol riche en gaz de schistes, la France est-elle assise sur un tas d’or ?
La révolution des gaz de schiste a permis aux Etats-Unis de retrouver emplois et croissance. Le prix du gaz y a été divisé par six en cinq ans. S’il peut exister un procédé pour l’extraire chez nous sans atteinte à l’environnement, il serait déraisonnable de ne pas le chercher. En France, comme en Europe. A Lacq, dans mon pays béarnais, on extrait du gaz depuis cinquante ans. Et il y a bien eu des injections pour « booster » l’extraction. Tout cela sans dommage. Je me dis souvent que si on découvrait le gisement aujourd’hui, les « mobilisations » diverses empêcheraient sans doute de le valoriser.
Les écolos en font-ils trop ? Sur Notre-Dame-des-Landes par exemple ?
Sur ce dossier, au contraire, je comprends très bien les résistances. L’utilité de ce nouvel aéroport est contestée avec des arguments sérieux. Rien ne dit que l’actuel aéroport de Nantes ne serait pas suffisant pour absorber le trafic, et ce pour une très longue période. Le débat mériterait donc d’être rouvert. Mais l’UMP et le PS s’accordent pour le rejeter.